Entre une menace d’interdiction municipale et une faible mobilisation, la journée de la femme à Murcie a finalement souffert du climat politique dominé par le projet de loi rétablissant l’interdiction de l’avortement.
C’est sur la place Santo Domingo, coeur du centre-ville piéton de Murcie, que la Red feminista et Amnesty International avaient convié le plus grand nombre à célébrer la journée de la femme. Mais cette année, pour la première fois, la mairie a signifié aux organisatrices de la Red feminista qu’elles n’avaient pas l’autorisation de tenir leur rassemblement. La police municipale a ainsi averti les responsables du collectif féministe dès l’installation des premières banderoles, samedi matin, vers 10h. En cause, l’utilisation du mobilier urbain – des bancs publics et des réverbères – appartenant à la municipalité.
L’autorisation obtenue comme chaque année auprès de la représentation du ministère de l’Intérieur n’y changeait rien. La manifestation a donc commencé avec une présence policière discrète et courtoise, mais intangible : en cas d’utilisation du mégaphone / de la sonorisation, l’intersyndicale s’exposerait à une amende. “On se cotisera et on en partagera le coût”, balayait d’un revers de la main Elvira Peñaranda, membre de l’intersyndicale de Murcie associée à la Red feminista, sans vraiment vouloir croire à ce scénario pour autant.
L’ombre de la municipalité revenait régulièrement dans les conversations. D’autant que cette année, la journée de la femme était politisée que jamais, avec pour mot d’ordre principal la demande de retrait du projet de loi rétablissant l’interdiction de l’avortement, comme l’a rappelé Maite Lucerga, membre organisatrice de l’intersyndicale de Murcie associée à la Red feminista :
“Ce n’est pas étonnant, on est à Murcie [ville réputée conservatrice], la mairie est PP [Partido Popular, droite] ! On dérange parce qu’on exige le retrait de cette loi régressive qui rétablit l’avortement !”
Vers 12h, un triumvirat de policiers municipaux négociait avec les organisatrices. Elles n’avaient pas envie de se laisser gâcher leur journée de la femme ; ils rechignaient à saper un rassemblement majoritairement féminin, calme et globalement familial. Le compromis fut trouvé : l’amende ne tomberait qu’en cas de plainte du voisinage et de refus d’éteindre la sonorisation. Soulagement.
La musique, les danses, et les slogans remplissaient la place Santo Domingo, centre névralgique de Murcie, où les quelques 250 manifestant(e)s intriguaient de nombreux passants venus flâner en famille en ce samedi ensoleillé. Au fur et à mesure de l’avancement de l’événement, de familiale, la manifestation est devenue plus militante. Une prestation théâtrale avec une comédienne seins nus et une Bible finissant jetée à terre, une prise de parole d’une représentante communiste de la Red feminista ont rappelé la politisation de l’événement particulière cette année. Les poupées gonflables du stand d’Amnesty International étaient déjà là pour interpeler les consciences.
Clou du spectacle, la présentation d’une statue du “santisimo coño” (saint clitoris) soutenus par des porteuses comme pour les processions en l’honneur de la vierge Marie. Les chansons devinrent plus festives. Mais pour Fuensanta Lopez Frutos, 28 ans, une partie du public ne s’y est pas retrouvé :
“Il y avait un peu moins de monde que l’an dernier, ce “santisimo coño” en a mis certains mal à l’aise”.
Mais la protestation proprement politique contre le projet de loi prévoyant l’interdiction de l’avortement était prévu à 19h30, devant la “Delegacion del gobierno” (représentation du gouvernement), à l’invitation de la Red feminista. Un centaine de personnes s’y est rendue, avec pour seuls autres partis et syndicats le parti communiste et la CGT. Des autres mouvements de gauche de Murcie, aucun n’a réussi à se coordonner avec la Red feminista.
Après l’Etat, l’Eglise pour cible : la procession du “santisimo coño”, accompagné d’un drapeau arc-en-ciel, de drapeaux communistes et d’un drapeau républicain s’est alors ébranlée devant la cathédrale, où ils tentaient d’occuper l’espace sonore de la place du cardinal Burdenal faute de la remplir physiquement.
Pour Isabel Frutos, membre de la Red feminista, le pouvoir de l’église explique ce retour vers l’interdiction de l’avortement :
“ L’Eglise est puissante, ce retour en arrière a été minutieusement préparé et le PP au pouvoir est aux ordres de l’Eglise”
Optimiste, Isabel compte sur la mobilisation de la rue pour pousser le gouvernement à affadir son texte. Mais pour ça, il faudra mobiliser au-delà des seuls cercles du militantisme féministe.
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